« Erdogan est un homme charismatique »

L’image a fait le tour des réseaux sociaux. Le 24 mai dernier, des soutiens de Recep Tayyip Erdogan ont arraché les affiches reprenant la couverture du magazine Le Point qui titrait « le dictateur » sous une photo du président turc. Depuis, et surtout depuis le tweet du président Macron prenant parti pour le journal, les jeunes Français pro-Erdogan relaient sans complexe leur solidarité envers le chef d’État via le hashtag #SoutienErdogan. À Vice, on a eu envie de comprendre comment il était possible de soutenir un autocrate pareil. Alors on est allés à la rencontre de ces vingtenaires pour comprendre ce qu’ils pouvaient bien lui trouver…

Sahin Sahin, commercial de 26 ans, est de ceux-là : « Je suis de tout cœur avec Erdogan car le lynchage médiatique devient insupportable. Je me rappelle de la Turquie telle qu’elle était en 1997 : rien à voir avec maintenant ! J’y vis deux mois par an, et j’ai vu les progrès de la croissance. Erdogan veut aider les opprimés et faire avancer son pays. » Et il l’assure : parmi ses amis franco-turcs, « 100 % sont pour le président ». Comme lui, en 2017, 64 % des Turcs résidant dans l’Hexagone ont voté en faveur du « oui » au référendum sur le renforcement des pouvoirs présidentiels. Un chiffre plus important qu’en Turquie où seuls 51 % des habitants ont réaffirmé leur soutien à Erdogan. Il faut dire que depuis 2003, date à laquelle il a été nommé Premier ministre (puis président en 2014), l’homme n’a pas fait dans la dentelle : la reprise de la croissance, certes, s’est surtout accompagnée d’arrestations d’opposants, de nettoyage des institutions et de répression policière. La tentative de coup d’État de la nuit du 15 au 16 juillet 2016, qui a fait 290 morts, a déclenché une vague de protestations. Mais pas seulement : « Ce jour-là, j’étais en train de boire un thé avec mon grand-père. Lorsque nous avons vu les informations, il a failli faire une crise cardiaque. Il a vécu le coup d’État de 1980 et celui de 1997 : il a eu peur de revenir 50 ans en arrière. Sur le simple appel par Facetime d’Erdogan, je suis descendu dans la rue pour le soutenir », se souvient Sahin Sahin.

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« Avant Erdogan, la Turquie était le petit chienchien de l’OTAN » – Mehmet Yildiz, pro-Erdogan… et traducteur d’Alain Soral

Reste qu’après la tentative de putsch est arrivée la purge : plus de 100 000 fonctionnaires ont été limogés, et 50 000 personnes arrêtées depuis. Mehmet Yildiz, 37 ans, traducteur du français au turc de l’idéologue d’extrême droite Alain Soral (ça ne s’invente pas !) défend tout de même Erdogan : « Vous ne vous rendez pas compte : si une partie de l’armée française organisait un putsch, que ferait Macron ? 200 000 personnes seraient renvoyées. Erdogan est à la juste mesure. » Il poursuit : « Avant lui, la Turquie était le petit chienchien de l’OTAN. Erdogan attaque l’hégémonie de Bruxelles et de la finance. » Ümit Metin, coordinateur général de l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), une association qui lutte pour les droits des immigrés turcs en France, raconte : « Erdogan est un leader très apprécié par les jeunes. Il se positionne contre l’islamophobie mais, à travers un discours populiste, il s’attaque régulièrement à la population occidentale. C’est un cercle vicieux. » À ses yeux, l’attrait pour le président turc a des causes sociales. « Dans le contexte actuel, les jeunes d’aujourd’hui se disent qu’ils ne seront jamais acceptés en France. Même s’ils connaissent très peu la Turquie, ils se construisent une identité à travers toute attaque contre Erdogan ou l’islam. Ce qu’ils défendent, c’est plus leur identité qu’un parti. »

Ce soutien est dans l’air du temps. En octobre 2017, des fascicules créationnistes musulmans avaient été distribués à la sortie d’établissements scolaires du Var. Signés par le prédicateur créationniste turc Adnan Oktar, sous le nom d’Harun Yahya, soutien du président Erdogan, ces documents dénonçaient « l’imposture du darwinisme », qui ne serait « qu’un mythe », photos de fossiles à l’appui. Une prise de position qui ne dérange pas plus que ça, comme l’explique Ümit Metin : « Auparavant, l’immigration avait un lien social avec la gauche. Mais après des années d’illusion, le vent a tourné. Le conservatisme se retrouve majoritaire dans la population française, y compris dans les communautés. » Mehmet Yildiz représente cette tendance. « Je suis un ancien militant du PKK, un groupe armé kurde opposé au chef de l’État. Mais, avec une lecture géopolitique nationaliste, je suis passé il y a dix ans vers la droite nationale turque. Erdogan est un homme courageux, rassembleur, qui a redonné confiance au peuple. »

« À chaque scrutin, je prends l’avion pour aller voter Erdogan » – Sahin Sahin, 26 ans

La figure du président fascine aussi Ahmet Kilinc, ouvrier de 27 ans : « Erdogan est un homme charismatique, qui ne recule devant rien. » Pour ces jeunes soutiens, le résultat de l’élection présidentielle turque de 2018, qui aura lieu par anticipation le 24 juin, ne fait aucun doute. « Ma famille en Turquie est à 99,9 % pour Erdogan. Il va largement remporter la victoire ! », raconte Ahmet Kilinc. Sahin Sahin enfonce le clou : « J’ai la double nationalité, et à chaque scrutin je prends l’avion pour aller voter pour Erdogan. Sur les 700 Turcs que compte mon village dans la Creuse, 600 feront pareil que moi ! » En attendant, Selahattin Demirtas, l’un de ses principaux opposants, est toujours en prison.